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Une valse capricieuse

Nous sommes le mercredi 1er novembre 2023. C’est la toussaint. Aloïs est avec moi. Il joue avec les cailloux. Il rit, les empile, les lance. Insouciant. La vie est un jeu. La vie est innocence. La vie est douce. Simple. Facile. Une aventure magique. Un monde d’émerveillements et de découvertes. Un rêve.

C’est un jour particulier puisqu’on honore nos défunts. Une messe a lieu dans le village où tu reposes. Tu es l’une d’eux. Défunte. Je ne réalise pas. Toujours pas. Jamais. Tu es morte. Tu nous à quittés pour toujours. Il y a deux ans et demi. Ce mot me parait toujours irréel. Inconcevable. La vie est tragique. Un cauchemar.

C’est pour toi que je me suis rendue au cimetière aujourd’hui. C’est ta tombe que je suis venue illuminer. C’est ton petit corps qui repose un mètre sous terre, dans ce cercueil blanc. C’est ton doux visage, ton prénom, ton nom, ta date de naissance qui sont inscrits sur cette pierre tombale. C’est toi, ma fille. C’est insupportable. C’est toi.

Je fais face à ta mort. Mon regard se perd sur ta photo. Un instant. Celle qui est présente sur ta pierre tombale. Trop mignonne. A croquer. Ton sourire. Tes adorables fossettes. Mon cœur chavire. Que fais-tu là, mon ange ?

La gorge serrée, j’observe la vie. Aloïs. Les éclats de rire. Les cris. Les cailloux qui volent dans les airs avant de s’écraser sur ta petite maison. La vie et la mort se côtoient dans un même espace. Ta tombe. Ton petit corps est dessous. Le sien, dessus. Ton petit corps est immobile. Le sien, actif. Ton petit corps est silencieux. Le sien fait bruit. Tu es morte. Lui est vivant. Je suis triste. Il est joyeux. Insouciant. Je souhaiterais pouvoir ressentir cette pureté. Cette simplicité. Je n’y arrive pas. Si seulement… J’ai l’impression d’être spectatrice d’un marathon que je ne peux rattraper. La vie court. Sans relâche. Je peine à suivre. A respirer son rythme effréné.

Depuis plus de deux ans, je fais face. Je danse avec l’ombre de ton absence. Chaque jour est une valse entre souvenirs et réalité. Le tempo est rapide, puis lent. Ma danse est capricieuse. Irrégulière. Un pas en avant. Deux en arrière. Quelques fois précise, puis hésitante. Mes pieds s’emmêlent, je me casse la figure. Je finis par me relever. La lourdeur au corps. Abattue. Déprimée. Avec cette sensation que ma vie est une souffrance perpétuelle.

Je virevolte au rythme de mon deuil. Mes pieds sont forts, je relève le torse. La tête droite. Fière. Ma danse est aérienne. Je vole. Légère. Comme une plume qui flotte dans les airs. Sans gravité. Comme toi. Je prends de la hauteur. Avec toi. Pour toi. Pour moi. Pour eux, j’avance. Un pas après l’autre. Sans jamais abandonner malgré la fatigue qui s’installe, comme une brume qui obscurcit mon chemin.

 

Auteur

norah.siegenthaler@bluewin.ch
Je m'appelle Norah Simon. Je suis née le 30 octobre 1989 à Lausanne. J'ai suivi une formation d'enseignante primaire à la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne. J'ai toujours apprécié la lecture et l'écriture. Depuis le décès de ma fille, j'y ai trouvé un refuge, un moyen d'évacuer mon trop-plein d'émotions, un véritable exutoire.