
Tu n’es pas lui. Il n’est pas toi.
Il est 6h10. Les stores sont clos. La pièce est plongée dans la pénombre. La maison est silencieuse. Tout le monde dort. Tout le monde, sauf lui. Tout le monde, sauf toi. Tu es là, dans un coin de ma tête, bien présente. J’ai la boule au ventre. Ma gorge se serre. Les souvenirs des moments partagés avec toi se mélangent avec l’instant que je suis en train de vivre à ses côtés et pourtant, tu n’es pas lui, il n’est pas toi.
Ses jolis yeux en forme d’amande me fixent. Je m’y perds. Je profite pleinement du moment. Je ne manque pas une miette de cet échange. Je suis allongée dans le lit, les genoux légèrement remontés. Installé sur mes cuisses, il me fixe du regard et tente de sortir quelques sons. Il vient de manger. Je lui murmure : « Tu es beau mon chéri!». Il rit. Je répète plusieurs fois la même phrase. A chaque fois, j’obtiens de magnifiques sourires. Il y a une année, c’est toi qui me souriait, ma chérie… Il y a une année c’est avec toi que je vivais ce bonheur. Je me rappelle, le cœur meurtri.
Tu sais, Margaux, hier matin, sur la table à langer, j’ai longuement observé ton petit frère, ce fabuleux arc-en-ciel que tu nous as envoyé. Je venais de lui enfiler ce joli body bleu aux motifs de pommes et de poires que toi aussi tu avais porté à plusieurs reprises. Durant les premières semaines qui ont suivi ton départ, j’accordais beaucoup de valeur à tes vêtements. Lorsque la douleur me rongeait de l’intérieur, lorsque je me trouvais au plus bas, j’avais l’habitude de me retirer dans ta chambre. Je refermais alors la porte derrière moi et sortais un habit de ton armoire. Je me blottissais contre un body, un pull, un pantalon, les larmes ruisselaient le long de mes joues et je respirais ton odeur. Dans ma tête des tas de questions, d’interrogations venaient amplifier ma peine. « Pourquoi nous, mon ange ? Pourquoi n’es-tu plus là avec nous ? Que dois-je faire de tout ces vêtements ? A quoi bon ? ». Ces morceaux de tissus me rappelaient ton absence, ce manque, ce vide, cette incommensurable douleur. Et pourtant, je ne pouvais pas m’en séparer. Ils maintenaient ce lien avec ton existence, ton vécu sur terre. J’étais incapable d’imaginer d’autres bébés les porter. Il t’appartenaient et ne pouvaient pas servir à d’autres que toi. Impossible ! Impensable !
Depuis plusieurs graines que tu as semées sur notre parcours, sur ce chemin du bonheur tant espéré, ont germé et j’ai compris ! Oui, j’ai compris ! Merci, ma chérie. Tu m’as ouvert les yeux, mon amour. Tu n’es pas ces vêtements. Tu n’existes pas dans les objets qui t’appartenaient. Tu es là partout autour de moi, dans ma manière de vivre, dans l’amour que je porte à tes frères, dans les moments de joie mais aussi de doute, de méfiance et de crainte. Tu guides chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque jour de notre vie, de ma vie. « Tu n’es plus là où tu étais, tu es partout là où je suis ». Je le ressens, je le vis à chaque instant.
Le temps a passé. J’ai distribué tes vêtements autour de moi. J’en ai gardé quelques-uns pour ton petit frère. Aujourd’hui, grâce à ces habits, je me souviens des beaux souvenirs, bien sûr avec amertume. Penser à toi, à nous fait toujours aussi mal et je suis convaincue que cette plaie ne disparaîtra jamais. Elle se refermera, ça j’en suis certaine, mais jamais la cicatrice que ta mort a laissé ne s’effacera.
Aujourd’hui, je suis ravie de mettre tes vêtements à Aloïs. Couché face à moi sur la table, j’ai vécu avec lui un instant de joie comme avec toi autrefois. J’étais heureuse de le voir dans cette étoffe de couleur bleu roi. Simultanément, je pensais à toi avec nostalgie, la douleur au ventre, comme je le fais à cet instant avec lui sur mes genoux dans ce même lit que tu as connu. Il y a une année, c’est à toi que j’enfilais ce joli body. Quel paradoxe ! Je vis le bonheur avec mélancolie. Tu me manques. Je te vois dans son sourire, dans son regard. Pourtant, tu n’es pas lui, il n’est pas toi.
