
Mes premiers pas dans le monde de l’écriture
Mes premiers pas dans ce nouveau monde de l’écriture
Je dois écrire et je n’y arrive pas. Il est jeudi, je travaille à la maison. C’est le jour consacré à mon écriture. Comme je ne m’autorise qu’une journée d’écriture par semaine à côté de ma vie de maman, je culpabilise de ne pas être productive. Je suis installée à mon bureau qui se trouve au rez-de-chaussée. Mon mari et moi avons récemment créé ce nouvel espace de travail. Cette pièce attenante à notre chambre à coucher était autrefois un dressing. Avec l’arrivée imminente de notre troisième enfant au mois de janvier, nous l’avons transformée en y aménageant deux plans de travail avec ordinateurs afin de libérer une chambre supplémentaire à l’étage.
Ce matin, je me suis levée à 7h30, le chant doux et mélodieux des oiseaux posés sur les barrières de mon balcon m’a réveillée. Tout était calme. Mon mari était déjà au travail et les enfants dormaient encore dans la pièce d’à côté. Je suis descendue à la cuisine. Le chien m’y attendait en remuant la queue. J’ai enclenché la machine à café et ai préparé le petit-déjeuner des jumeaux qui n’allaient pas tarder à me rejoindre. Je suis sortie sur la terrasse et ai inspiré plusieurs grandes bouffées d’air, mon café chaud à la main. Le brouillard se dissipait peu à peu et laissait apparaître la nature dans toute sa splendeur. J’ai observé ce beau spectacle avec reconnaissance et admiration. Tous mes sens étaient en éveil. Les caresses du vent qui effleuraient mes joues, le chant des oiseaux qui résonnait à mes oreilles, les odeurs des fleurs qui chatouillaient mes narines, les papillons de toutes sortes qui virevoltaient dans les airs, l’immensité des montagnes qui se dressaient face à moi, m’ont apaisée. Je me suis laissée gagner par un sentiment de bien-être profond.
Des pas ont retenti dans les escaliers en bois. Les jumeaux sont arrivés à la cuisine l’un derrière l’autre et se sont assis à table. Je les ai embrassés tendrement. Les paupières encore lourdes, le silence régnait toujours dans la maison. Après s’être longuement étirés et avoir bâillé à plusieurs reprises, les jeunes frères ont fini par émerger de leur nuit de sommeil puis ont avalé leur petit-déjeuner. Les tartines englouties, j’ai sorti les vêtements de l’armoire et les ai déposés sur leur lit. Pendant qu’ils s’habillaient, j’en ai fait de même, ensuite j’ai préparé leur sac pour la crèche.
Aux environs de 8h30, nous sommes partis de la maison en voiture. Durant le trajet, j’étais perdue dans mes pensées. Je voulais écrire un poème mais comment faire ? Par où commencer ? Comment structurer mon travail ? Quel message, quel sens donner au texte ? Toutes ces questions me crispaient et ont fait émerger ce cruel manque de confiance en moi.
Arrivés devant le bâtiment, j’ai déposé les garçons à la garderie et les ai cajolés une dernière fois. Puis, je suis rentrée.
Il est 9h00, à travers la porte vitrée de mon bureau, je peux apercevoir une majestueuse montagne, le Catogne. Mon regard s’y perd un instant. Je réfléchis mais pas une idée, pas une seule ne me vient. Tout me semble mauvais. Je suis atteinte de ce fichu « syndrome de la page blanche de l’écrivain ». Mes doigts tremblent, hésitent mais finissent tout de même par prendre possession du clavier. Ils commencent péniblement à taper un début de texte sans grand intérêt « Margaux ma petite étoile, merci de m’avoir choisie ». Je supprime immédiatement cette phrase. Je recommence, « Margaux ma petite étoile, partie trop tôt visiter un monde où tout est plus beau ». A nouveau, cela ne m’enchante guère et j’appuie plusieurs fois sur la même touche pour tout effacer. Le doute s’installe. Je ne vais pas y arriver…
Durant mon enfance, plus je grandissais, moins j’avais d’estime de moi. Les moqueries à l’école et les résultats scolaires médiocres ont grandement contribué à cette dévalorisation personnelle. La peur de ne pas être aimée m’a souvent empêchée d’aller vers les autres. Je n’ai jamais su comment surmonter ma timidité et me suis beaucoup isolée. La peur de faire faux, de faire mal m’a souvent mise et me met encore aujourd’hui face à un sentiment d’incapacité.
Au fond de moi, je sais que rester assise face à mon écran sans aucune illumination en perspective est une perte de temps. Face à mon manque de productivité, je pars m’occuper des tâches ménagères en attendant une étincelle. A la buanderie, je remplis la machine à laver de linges sales en prenant soin de n’attraper que les vêtements foncés. Mon poème, toujours en tête, je me questionne. Quelle structure lui donner ? Avec quelles rimes et quelle longueur ? La machine remplie, je la mets en route. Je vide le séchoir et plie le linge propre que je dépose dans une corbeille. Je passe l’aspirateur au salon. Finalement, je sors me balader avec le chien.
En général, la marche est bénéfique à mon écriture. La nature a le pouvoir de faire surgir de nouvelles idées. Pourtant, à cet instant, toujours rien, pas la moindre ébauche de texte ! Je me promène déjà depuis un long moment. La peur me gagne définitivement. Comment sera perçu mon travail ? Sera-t-il jugé suffisamment bon ? Et si je n’y parvenais pas ? Puis, l’étincelle tant attendue ! La voilà enfin ! Un papillon se pose sur mon épaule et vient mettre un terme à mes pensées dévastatrices. Je suis subjuguée. Quelle merveille ! Les lignes et les points noirs sur ses ailes orangées sont d’une telle élégance et leur symétrie d’une telle perfection ! Je reste là, immobile et silencieuse, à le contempler pendant plusieurs minutes. Le bel insecte prend finalement son envol et se pose sur une magnifique renoncule. Il y déploie sa trompe pour aspirer le nectar. Le contraste entre le jaune vif de la fleur et la couleur orange du papillon est sublime. Un signe ? Oui c’est certain ! Un éclat de rire résonne dans mon cœur, celui de ma fille Margaux, ce petit ange de 3 mois et demi, décédée le 11 mai 2021. Comme ce majestueux papillon, elle a pris son envol pour se nourrir de la poudre des étoiles. C’est ce qu’imaginent ses grands frères. Penser à elle me redonne espoir et foi en moi. Le plan se dessine peu à peu. Le lien qui m’unit à Margaux et ma renaissance après son départ sont des éléments centraux. J’ai envie de produire un texte profond et généreux afin qu’il touche le lecteur. Je souhaite briser le silence qui entoure le deuil d’un enfant.
Ma sortie se termine par une visite au cimetière auprès de la tombe de ma fille. Je m’agenouille face à la croix blanche. Je sors mon stylo offert par mon mari après le décès de Margaux sur lequel est gravé son prénom et mon calepin que j’emmène partout avec moi depuis sa disparition. Je me mets à écrire. Je lui raconte ma fameuse étincelle qui s’est produite un peu plus tôt. « Margaux, ma chérie, je te dis merci. Merci de m’avoir envoyé ce papillon pour me guider et trouver l’inspiration qui me manquait. Merci de me donner la confiance nécessaire pour oser sortir de ma zone de confort, de m’affirmer et de prendre ma place dans le monde de l’écrit. Merci de me pousser à prendre des risques et relever de nouveaux défis, comme le projet ambitieux d’écrire un livre. Je suis novice dans ce domaine et, pourtant, je m’y sens légitime. C’est grâce à toi mon ange ! »
Dans mes textes, sous forme de journal intime, je m’adresse à elle. Je lui parle de mes émotions, de mes états d’âme et de la manière dont j’apprivoise petit à petit son absence physique. Je mets sur papier tout ce qui me passe par la tête. J’utilise la page blanche comme défouloir. Des émotions tantôt positives, tantôt négatives s’entremêlent laissant apparaître certains paradoxes. Comme l’effet de l’apaisement du temps sur la douleur mais aussi la peur de l’oubli provoquée par l’éloignement physique. Ecrire, mettre des mots sur mes maux est thérapeutique.
Je rentre pour déjeuner puis je retourne m’installer à mon bureau. Je bouge ma souris pour faire sortir mon écran d’ordinateur de son état de veille. Je consulte rapidement ma boîte mail, réponds aux quelques messages et me plonge dans l’écriture de mon poème. Le texte se construit peu à peu. Je consulte internet pour trouver les bons mots avec les bonnes rimes et voici le texte que je suis parvenue à créer une vingtaine de minutes plus tard.
Margaux, mon voyage vers la vie
Margaux ma petite étoile
Tu as pris la grand-voile
Tu es partie en voyage
Nous laissant un message
Margaux mon petit soleil
Ta joie de vivre m’émerveille
Encore à chaque réveil
Tu ris dans mes oreilles
Margaux mon grand amour
Tu n’as pas fait de discours
J’ai bien compris ta mission
Vivre chaque jour avec passion
Margaux mon grand bonheur
Tes rires raisonnent dans mon cœur
Ta courte vie était belle
Tu es mon plus beau modèle
Margaux, mon bébé d’amour
Ta présence m’a élevée
Tu m’as réanimée
Merci de m’avoir choisie
Je connais aujourd’hui
Les vraies valeurs de la Vie.
Ta maman qui t’aime
La journée se termine. Le cœur léger, je récupère les garçons à la crèche. Nous soupons en famille puis vient l’heure de la mise au lit. Je m’installe entre les jumeaux et, comme chaque soir, nous échangeons sur nos journées. Ils me racontent avoir vu un magnifique papillon orange aux points noirs qui leur a fait penser à leur petite sœur Margaux…
