
Le jour de tes six mois
Nous sommes le 21 juillet 2021. Tu aurais dû avoir six mois. Je regarde tes frères par la fenêtre riant sur leurs nouvelles balançoires que grand-papa et papa viennent d’installer. Je m’imagine avec toi somnolant dans mon écharpe assise sur une chaise en train de les surveiller.
Ce matin, ils sont venus m’arracher de mon sommeil qui m’empêchait de penser à la lourdeur de cette journée.
« Maman, j’ai faim ! »
« Oui j’arrive, j’arrive, deux petites minutes si-te-plaît ! »
Je me suis réveillée avec une impression de vide et d’abattement. J’ai regardé l’espace contre le mur où tu dormais autrefois. J’ai vu l’absence. Ton lit n’y était plus. Tu n’y étais pas. Je me suis retournée et aurais souhaité prolonger ma nuit de quelques heures pour ne pas avoir à affronter ta disparition. Mais je n’avais pas le choix. La légèreté de tes frères m’a poussée hors du lit. Leur spontanéité m’aide à faire face à ce terrible fardeau : le manque de ma fille dans ma vie.
Ton absence est présente au quotidien et pèse de plus en plus lourd. Chaque réveil est vécu avec brutalité. Le choc de cette réalité foudroyante est accablant et encore davantage aujourd’hui.
Comment allais-je pouvoir me sortir de cette torpeur du jour et me mesurer au vide que tu as laissé après ton départ ? Mes jambes chargées de plomb et le poids sur mes épaules m’écrasaient au sol. Chaque pas était un supplice. Je suis descendue avec beaucoup de maladresse à la cuisine me rattrapant de justesse sur l’avant dernière marche de l’escalier avant de me retrouver les quatre fers en l’air. Les garçons étaient déjà à table et attendaient que je leur prépare leurs tartines au beurre et à la confiture. Je me suis dépêchée de le faire. Pendant qu’ils mangeaient, j’ai bu deux verres de jus d’orange qui m’ont redonné un peu d’énergie.
La matinée s’est déroulée avec lenteur. Je me suis installée au salon avec tes frères pour un moment de détente et de partage. Malheureusement la situation a rapidement tourné en gestion de crises de colère. Nous avons joué à « Pique-Plume ». A la fin de la première partie Mathis a piqué une crise de rage quand Thibaut a réussi à piquer la plume de sa poule. J’ai tenté de le calmer, en vain. Alors nous avons sorti un second jeu « Serpentina » et y avons joué à plusieurs reprises avant que la pile de cartes ne vole en éclat pour les mêmes raisons. Ton frère n’aime pas perdre. Il n’était pas évident de le raisonner. Finalement, le dessin à la craie sur la route devant la maison m’a semblé être une bonne alternative aux colères. Ils ont fait de très beaux dessins et semblaient à nouveau plus apaisés. Je les ai laissés seuls un instant et me suis installée sur le canapé. J’avais besoin de calme pour me ressourcer et me permettre d’avancer dans cette journée qui n’en finissait pas.
Le rire et l’insouciance de tes frères me font du bien. Ils s’amusent sur les balançoires allant de plus en plus haut jusqu’à « toucher les étoiles ». Ils rayonnent la joie de vivre. Je pense à toi. Je t’imagine âgée de six mois. Je pense aux progrès que tu aurais fait. Mon regard se lève au ciel vers les étoiles que tes frères tentent de toucher du bout des pieds. Je me réjouis de retrouver un peu d’apesanteur en t’observant parmi elles à la tombée de la nuit.