
La lumière est plus forte que l’obscurité
Nous sommes le 18 février 2022, je suis allongée sur notre canapé, ton petit frère me donne des coups dans le ventre. Je pense à toi, à ces moments de tendresse et de complicité partagés, lorsque toutes les deux nous ne formions qu’une. Nous étions fusionnelles. Dans ma bulle, avec toi à l’intérieur, je réalisais la chance que j’avais de t’avoir dans ma vie. Le soir venu, tes frères couchés, je pouvais rester des heures à t’admirer sans bouger de peur de te réveiller. J’analysais chaque détail de ton beau visage qui dégageait une lumière abondante, un amour étincelant, l’amour inconditionnel. D’une voix douce, je te murmurais : « Je t’aime mon bébé d’amour » tout en te caressant le bout du nez. Tu étais si mignonne avec ce petit nez en trompette. Ce bonheur pur, cette quiétude absolue me semblent lointains à présent. J’essaie de revivre ce sentiment de légèreté, de paix et de sérénité ressenti lorsque je te tenais dans mes bras sur ce même canapé. J’essaie. Je ferme les yeux. Ce n’est pas suffisant… et pourtant…
Neuf mois se sont écoulés depuis ces derniers instants de parfaite harmonie. Le téléphone en main, je remonte le temps en faisant défiler du bout du doigt les photos de ton court passage sur terre, les dernières de toi vivante. Tu avais trois mois. Mon regard s’arrête sur une image. Des souvenirs me reviennent. J’observe ton si joli minois. Que tu es belle, ma chérie. Je ne comprends toujours pas. Je ne comprendrai jamais. Pourquoi toi ? C’était le 18 avril 2021. Tu t’es endormie sereinement sur mes genoux après avoir mangé avec appétit. Fatiguée de la journée, tu as plongé dans un sommeil profond. Nous étions parties toutes les deux célébrer la venue au monde prochaine d’un autre petit rayon de soleil dans le quartier de mon enfance à Ecublens, le fils de mon amie Laurianne. De retour à la maison, je lui ai envoyé cette photo de toi par WhatsApp pour lui dire que nous étions bien arrivées avec ce commentaire « Quelle belle journée ! Epuisée… [smiley sourire – sueur] ».
Les garçons ont passé la journée avec papa et toutes les deux, nous avons pris la route en fin de matinée. Tu as dormi pendant tout le trajet, comme toujours, tu étais un bébé facile. Tu as rapidement fait tes nuits en dormant douze heures d’affilée. Souvent, au petit matin, tu te réveillais avant nous et, sans bruit, tu attendais que nous nous penchions au-dessus de ton petit lit. A chaque fois, tu nous accueillais avec un immense sourire, le plus beau. Les pleurs étaient quasi inexistants. Tu devenais grincheuse à l’heure des repas. Le reste du temps, tu respirais la joie de vivre. Un bébé heureux tout simplement.
Ta coque-auto était installée à l’arrière de la voiture. Durant tout le trajet, j’étais consciente de l’importance d’assurer une conduite prudente. Une vie si précieuse et si fragile à la fois, ta vie, se trouvait à bord de mon véhicule. J’étais responsable de toi, de ta protection. La moindre inattention pouvait conduire au pire. J’étais tendue à l’idée de partir de la maison avec un nourrisson de 3 mois. La gorge serrée d’appréhension, nous avons roulé un peu plus d’une heure pour nous rendre dans la maison d’enfance de Laurianne qui allait bientôt accoucher. Il était important pour moi de participer à cette fête.
Tu sais, Margaux, Laurianne a été une réelle bouée de secours pour moi depuis ta mort. Empathique, à l’écoute, elle m’a permis d’accepter l’inacceptable, de mettre un sens à ton départ insensé. Ce n’est pas la seule, bien sûr. D’autres personnes nous ont aidés à travers leurs gestes, leurs paroles. Tant de bienveillance ! Je me souviens de quelques phrases prononcées par Laurianne. Cette parole est devenue aujourd’hui un phare qui guide mes pas, une lumière qui éclaire mon chemin. « Seule la lumière peut vaincre l’obscurité. Quand on allume une bougie, aussi noir que cela puisse être, on verra toujours le scintillement de la flamme. Cette lumière sera toujours visible, même si on se trouve au fond d’une grotte, même s’il fait très sombre. L’obscurité ne peut pas annuler la lumière alors que l’inverse est possible ».
Après ta mort, je me suis retrouvée coincée dans la noirceur du gouffre dans lequel je glissais peu à peu. Cette descente était vertigineuse, angoissante, menaçante. Bref, elle était terrible. Je n’avais plus goût à rien.
Si j’avais pu m’allonger à côté de toi, en cet horrible jour du mois de mai, dans ce petit cercueil blanc, je l’aurais fait…
Et pourtant…
Je me suis relevée. Je me suis cramponnée. Les prises étaient fines, fragiles, prêtes à craquer sous le poids de ma souffrance.
Si j’avais pu rester là avec ton petit corps emmailloté dans tes écharpes pour l’éternité, je l’aurais fait…
Et pourtant…
Je suis parvenue à me diriger vers la lumière grâce au soutien des autres, grâce à toi et pour toi. Tu n’es que lumière, ma puce. Pourquoi se laisser envahir par l’obscurité? Ça n’a pas de sens. Tu brilles. Tu nous illumines. Tu nous donnes envie de vivre, d’être heureux.
Ton petit frère arrive dans moins de deux semaines. Nous venons de lui trouver un prénom. Bientôt, il sera parmi nous. Ta mort nous a anéantis et pourtant … la lumière est plus que jamais présente !
